Mobile Money, Le Banking Made In Africa
Du téléphone portable à la banque : l'évolution d'un modèle unique en Afrique. Tellement unique que cela crée un tout nouveau marché à très fort potentiel de croissance.
Une brève introduction au “mobile money”
Le mobile money peut se définir concrètement comme l’ensemble des systèmes de services financiers permettant de gérer de l’argent via un téléphone mobile. Ces services fonctionnent sans compte bancaire et, dans de nombreux cas, sans connexion Internet. Sur le continent Africain, ce sont, principalement les opérateurs de téléphonie mobile qui ont le monopole de ce marché. Ces particularités en font une solution idéale dans les régions où les infrastructures bancaires et internet sont limitées.
Né en 2007 avec le lancement de M-Pesa par Vodafone, le mobile money a rapidement été adopté sur l’ensemble du continent africain. Aujourd’hui, il constitue le pilier du système financier en Afrique. En 2023, on comptait près de 856 millions d’utilisateurs, et les transactions réalisées via le mobile money représentaient plus de 1 260 milliards de dollars USD en 2022.
Sur un continent de 1,3 milliard d’habitants (en 2021), il est donc indéniable que le mobile money est devenu le moyen de paiement le plus utilisé en Afrique. Contrairement à certaines idées reçues, ce système n’est en rien moins « innovant » et ne devrait pas être perçu comme un « sous-système bancaire pour les pays pauvres ».
Qu’est ce qui en fait un système unique et innovant ?
Le mobile money a largement contribué à offrir à la population peu scolarisée et aux entreprises africaines un accès à des services financiers variés, complets et sans espèces (cashless). Prenons l’exemple du Bénin, où il est désormais courant de payer son transport ou même de faire des achats dans une supérette de quartier entièrement via le mobile money.
Le caractère hors ligne de ces plateformes a facilité l’envoi et le retrait de fonds, même dans les zones où l’accès à Internet est limité. En effet, ces services reposent sur un réseau d’agents, qui agissent comme des points de relais pour leurs opérations. Ces agents, que l’on peut comparer à des guichets automatiques (ATM) humains, permettent d’effectuer des retraits et des dépôts facilement. Leur présence est particulièrement dense, notamment dans les zones à forte population, où il n’est pas rare de trouver un agent tous les 50 mètres.
Ce système a également engendré la création d’un nouveau type de métier, accessible à des personnes de tout âge et de tout sexe, incarné par ces agents.
Au-delà de ces usages de base, les services de mobile money les plus récents offrent désormais des solutions financières avancées, telles que les prêts ou microcrédits (comme le service Prêt Xpress de MTN au Bénin), le paiement de factures, l’épargne et même l’interopérabilité avec les banques traditionnelles.
Au delà du mobile money, une autre approche pour les produits fintechs

Dans un marché mondialisé comme le nôtre, la position du mobile money est assez particulière. On pourrait être tenté de croire, à tort, que les moyens de paiement alternatifs aux cartes bancaires et aux banques traditionnelles ne sont que des cas isolés, peu ou pas compatibles avec le marché mondial.
Cependant, cette perception est erronée. Un marché a tout à fait le droit de se construire et de se développer en dehors des standards ou des normes établis, mais qui les fixe réellement comme référence universelle ? Prenons l’exemple de la Chine, avec une population de 1,4 milliard de personnes en 2023 selon la Banque Mondiale — soit plus que les États-Unis et l’Union Européenne combinés. Dans ce pays, les QR codes, que l’on scanne pour effectuer des paiements, constituent le mode de paiement principal. Il est aussi important de préciser que ce mode de paiement est aussi très populaire à l’extérieur de la Chine et s’étend même dans de nombreux pays d’Asie comme la Thaïlande.
De la même manière, le mobile money peut être perçu comme un système de paiement tout aussi légitime et autonome. Il est déjà majoritairement utilisé par une population africaine qui devrait atteindre près de 2,5 milliards d’habitants d’ici 2050.
Et même au delà de simplement proposer des paiements, le mobile money s’est également étendu à certains produits avec des use-cases bien spécifiques :
Des produits comme Machankura que m’a présenté Olaniran récemment autour d’une discussion et qui permet d’échanger de la cryptomonnaie au travers d’USSD, faisant office de custodial wallet. Côté crypto on peut aussi Tando qui fonctionne comme un M-PESA mais pour le Bitcoin.
Des plateformes comme Wave qui dupliquent le modèle des opérateurs téléphoniques concernant le mobile money et qui proposent des services similaires mais sans être un réseau GSM;
Des produits comme Mollet (que je développe actuellement, au passage), qui fonctionne même sans connexion Internet, ou encore Mapossa, exploitent les SMS comme source d’informations fiables pour proposer des solutions autonomes de gestion financière, tant pour les particuliers que pour les entreprises;
Des produits comme Zepargn qui s’articulent autour de l’épargne pour les particuliers;
Des produits comme Djamo ou PaySika qui résolvent les problèmes liés à la faible bancarisation des personnes en Afrique en leur mettant à disposition des néo-banques et une carte bancaire facilement rechargeable par mobile money;
Des produits comme Zeyow (et PaySika cité plus haut) qui proposent des cartes virtuelles rechargeables par mobile money;
Des produits comme Moneroo, également, permettent d’interconnecter et d’unifier, via une interface unique, plusieurs agrégateurs de paiements mobile money ainsi que des solutions comme les cartes bancaires (telles que Stripe), facilitant ainsi les transactions à travers l’Afrique et au-delà.
Toutes ces solutions sont nés d’un marché unique avec des besoins et des utilisateurs uniques.
Les limites du mobile money aujourd’hui
Bien que représentant une véritable révolution sur le marché africain, le mobile money présente encore aujourd’hui plusieurs problèmes, chacun avec ses propres contraintes et complications. La résolution de ces défis pourrait permettre au mobile money d’atteindre de nouveaux sommets.
Le premier problème notable est la forte fragmentation du continent. Chaque pays dispose de ses propres opérateurs de mobile money, qu’il s’agisse de grandes entreprises de télécommunication ou de startups comme Wave. Ces opérateurs ne permettent pas encore, de manière uniforme, le transfert de valeur d’un opérateur à un autre, ce qui limite l’interopérabilité au sein même des pays et entre eux.
La seconde contrainte réside dans l’appartenance des pays africains à différentes zones économiques (CEDEAO, CEMAC, etc.), chacune ayant ses propres régulations. À cela s’ajoutent parfois des réglementations spécifiques à chaque pays. Ce manque d’uniformité rend souvent complexe le transfert de valeurs au-delà des frontières.
Cependant, de nombreux agrégateurs à travers le continent travaillent activement à résoudre ces problèmes en proposant des solutions variées pour faciliter les échanges et améliorer l’interopérabilité entre les systèmes.
On peut citer le cas de Lazerpay (aujourd’hui fermé), qui s’attaquait à ce problème en permettant le transfert de capitaux au-delà des frontières sous forme de stablecoins, tout en offrant une conversion facile vers des devises locales.
D’autres exemples notables incluent Cinetpay et Pawapay, deux des plus grands agrégateurs de paiements en termes de couverture sur le continent. Pawapay, notamment soutenu par Zagadat Capital (dont je prévois de parler dans mon prochain article), joue un rôle clé dans la facilitation des paiements à l’échelle africaine.
Ce problème de régulation est, selon moi, particulièrement préoccupant, car il peut constituer un véritable frein à l’innovation financière sur le continent.
En gros?
On pourrait définir le mobile money comme le banking "made in Africa" pour les Africains. Déjà implanté dans la majorité des pays du continent, le mobile money s’appuie sur des réalités communes partagées par ces nations, malgré leurs spécificités individuelles. Il se positionne aujourd’hui comme LE moyen de paiement incontournable pour toute entreprise souhaitant croître et s’imposer sur le marché africain.
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Très belle analyse ! Les problèmes évoqués sont pertinents. Les autorités doivent favoriser l’interopérabilité à l’échelle africaine.